Une rencontre fortuite [feat Léopold]

Fiches des joueurs:

Il n'y a rien de plus ennuyant, à la base, que d'aller dans un lieu que l'on aime entouré de ce qui est le plus susceptible de la gâcher. Personnellement, il n'y a que trois lieux que j'affectionne réellement : mon appartement - antre douillet de mon âme chagrine -, le lycée où je peux ennuyer des élèves qui se rappelleront de moi comme d'un professeur potable et, enfin, le zoo, où je peux regarder ceux dont je me sens le plus proche : les animaux emprisonnés.
 
Tout comme il ne me viendrait pas à l'idée d'emmener des élèves chez moi où de séquestré des animaux au lycée, il aurait du être absolument aberrant de mener des élèves voir ces mêmes animaux. Visiblement, ce n'est pas l'avis de tout le monde puis que je me retrouve ici, à devoir mener un troupeau de moutons ahuris au milieu des allées qui longent les cages d'être, bizarrement, bien plus civilisés qu'eux.
 
J'ai à peine le temps de m’apitoyer sur la difficile condition de professeur encadrant une sortie que le premier problème survient déjà. La fin. Eh oui. Ces animaux soumis à leur besoin primaire ont déjà faim, alors que nous venons à peine de passer les portiques de sécurité. J'avais prévu une heure précise pour que cette sortie scolaire imprévue (ou dont je n'étais pas prévenu plutôt) se transforme en une orgie alimentaire mais je ne fais pas le poids face à cette trentaine de lycéens affamés. Je les mènes donc au petit restaurant le plus proche où leur seront proposés viandes rouges, sangs et autres Délices du Vampire, comme l'indique le nom de l'établissement - qui la journée s'appelle simplement Délices, les néons composant l'autre partie du nom ne s'allumant qu'à 20h.
 
Une fois tous mes moutons installés autour des grandes tables, je me permets une petite pause pour m'installer en terrasse d'où je suis toujours en mesure de les voir, mais pas de les entendre pour mon plus grand bonheur. Une tasse de chocolat chaud fumante, un nuage de sang flottant à sa surface, dans les mains, je me perds dans la contemplation de l'enclos qui me fait face.

Je lève un regard désespéré de ma tasse, voyant le peu de tranquillité que j'avais gagné s'enfuir en courant. Je rougis très légèrement, principalement de surprise, je n'aime pas croiser des gens, parce que je n'ai pas le temps de m'y préparer.

- Ah ! Heu... B... Bon... Bonsoir, voilà, bonsoir. Salut. Coucou.

Je le fixe, un peu perdu, en me redressant légèrement sur ma chaise. Je suis censé aller le saluer ? Non, je crois pas... enfin peut-être. Je ne sais pas. Ohlala... Je suis complètement perdu ça y est...

M'étant rapproché pendant que je hélais le professeur d'Anglais rencontré quelques temps plus tôt, j'abats ma main toujours levée sur l'épaule de l'homme en oubliant que pour sa petite stature, cette tape amicale serait un véritable séisme. Un peu honteux de ce manque de tact dès le premier contact, j'essaie d'en détourner ses pensées:

"Alors, chocolat chaud plutôt que café? C'est une bonne idée..." Dis-je en exhibant toutes mes dents dans un large sourire avant d'ajouter "Je peux m’asseoir?" en pointant la chaise lui faisant face du bout du doigt.

Je le fixe un instant, en essayant de ne pas m'écraser lamentablement, et suis son bras du regard jusqu'à la chaise.

- Ah, oui, oui allez-y.

Je me tasse de nouveau dans mon assise sans le lâcher des yeux, attendant qu'il... eh bien, comme très souvent, qu'il parle.

Il a l'air content. Enfin... paisible. Enfin... Il ne m'a pas envoyé me faire cuire un œuf et c'est déjà ça. Après avoir rapidement salué les quelques élèves qui sont passés au don du sang et qui m'ont reconnu, je glisse les bretelles de mon sac à dos sur le dossier de la chaise et me laisse lourdement tomber sur le siège.

Ne sachant que dire à M. Gallagher mis-à-part les mondaineries que je lui sers depuis que je suis arrivé type "ça fait longtemps!" ou "je ne vous ai pas encore vu au don du sang! C'est pas de chance mais ça ne devrait pas tarder, j'y passe tout mon temps", je décide de me taire et d'un peu lui laisser la parole même si, d'après mon souvenir, ce n'est pas son fort. 

Je me mets donc à sagement laper ma glace en perdant mon regard dans les remous de son chocolat chaud, jalousement gardé entre ses deux mains frêles.

J'attends plusieurs heures, à moins que ce ne soit des secondes, avant de me forcer à chercher quelque chose à lui dire. Evidemment, rien ne me viens à l'esprit, à part quelques stupidités du type "ce n'est pas de chance, quand même, qu'on ne se soit jamais croisé au don du sang" ou "ça faisait un moment qu'on ne s'était pas vu". Pour éviter de commencer une conversation stérile sur l'une de ces deux bases-ci, je me force à trouver autre chose. Mauvaise idée.

- Ca faisait un moment qu'on ne s'était pas vu, on ne se croise jamais au don du sang c'est pas de chance. Qu'est-ce que vous faites là, sinon ? C'est pour le boulot ? Enfin je ne vois pas ce que votre travail a à voir avec les animaux. Mais comme le mien est pas censé y être lié non plus... Enfin les élèves sont un peu des animaux mais pas comme ça, même si on pourrait en douter en les voyant manger. Des fois j'ai un peu l'impression de me trimbaler un bande de moutons carnivores... Et du coup vous êtes ici pour le loisir ? Ou alors vous avez un rendez-vous ?

Je parle trop. Beaucoup trop. Et en plus, autant être sincère, ce que je dis ne vaut même pas la peine d'être pensé par un meurtrier psychotique.

Mort de rire intérieurement, je fais tout pour me contenir mais ne peut empêcher un petit gloussement de s'échapper: ça valait vraiment le coup d'attendre! C'est vrai que j'adore sa façon de s'exprimer, toujours confuse et inattendue...

Toutefois, je ne veux pas qu'il pense que je me moque de lui donc je coupe rapidement court pour lui répondre: 

" C'est mon jour de congé et comme le temps n'est pas désagréable, je me suis dis qu'au lieu de paresser sur mon canapé devant un film ou faire quelque chose de constructif comme le ménage, j'allais plutôt aller au zoo dire bonjour aux ornithorynques et boucher mes artères à coup de crème glacée. Et vous? Sortie scolaire je présume?"

Je me crispe un peu à son ricanement mais, par chance, il ne s'attarde pas sur les difficultés sociales qu'il avait souligné à notre dernière entrevue. Je lui souris assez piteusement, rassuré par la façon dont il reprend la conversation de ses mains de maître. Mots. Mots de maître.

- Oui, c'est ça...J'ai été prévenu en arrivant, du coup je suis un peu dépassé... Mais bon... Ils vont peut-être juste rester là pendant 6h et on pourra rentrer...

"Excusez ma question mais... Une sortie au zoo pour des lycéens? Je ne suis pas moi-même d'une immense maturité -vous voyez bien ce que je fais de mon temps libre- mais n'est-ce pas un peu les traiter comme des enfants?"
 
J'espère sincèrement ne pas le vexer avec cette question mais, d'après ce qu'il a dit, cette sortie n'est pas de son initiative. Et je veux bien le croire étant donné le désamour qu'il semble vouer au bazar et à la dispersion. S'occuper d'un groupe d'adolescents en chaleur, des vampires de surcroît, ne dois pas être loin de la torture pour lui...

Je hausse un peu les épaules en regardant les élèves à l'intérieur. Je pourrais justifier le choix du directeur et de la Chargée Principale d'Education, mais en fait... Non. Non, parce qu'ils m'ont prévenu au dernier moment et qu'ils m'ont envoyé ici seul avec une trentaine de moutons.

- Je crois que c'est juste une question de quota. On est censé leur faire une sortie minimum par semestre, là on arrive à la fin du second et on avait rien. Ils auraient pu faire mieux que le zoo mais au moins c'est approprié : ils en ont rien à faire des animaux et les animaux en ont rien à faire d'eux.

Je rie à nouveau mais cette fois je m'explique:
 
"Je doute que ce soit réellement pour ça, mais cette explication reste exxxxtrêment satisfaisante!" 
 
Je lèche ma glace une nouvelle fois, achevant de dévorer la boule caramel pour m'attaquer à la vanille. Soudain, je fronce les sourcils:
 
"Mais, au fait... Vous êtes tout seul avec autant d'élèves?! L'école a-t-elle au moins le droit de faire ça?"

Je souris, absolument ravie que ma remarque lui plaise. J'ai presque l'impression de ne pas dire que des bêtises et ça, c'est plus que satisfaisant, comme il dit.

- On a pas les mêmes obligations qu'avec des humains. Comme c'est des vampires, je dois juste surveiller qu'aucun humain ne s'en prennent à eux... Mais c'est assez tranquille, je ne sens aucune présence humaine à proximité.

"Il faut juste espérer qu'aucun d'eux ne se mette à sucer une chèvre..." Murmure-je, sans même y penser.
Après un quart de seconde de réflexion, je me dis que j'aurais quand même pu trouver une formule plus poétique et moins tendancieuse...
Histoire de ne pas rester sur cette phrase, je reprend la parole, d'un air malicieux:
"Quand même,  ça serait embêtant que les parents d'élèves apprennent de manière fortuite que le lycée joue aux sous-effectifs avec leur progéniture..." J'ajoute un clin d’œil appuyé, pour faire bonne mesure.

Je le fixe quelques secondes. C'était mal dit. Très mal dit. Carrément mal dit. Mais dans la mesure ou je ne fais pas mieux, ou je fais même pire, je n'ai pas vraiment de quoi contrer ça. Je lui souris donc simplement, d'un sourire faible et timide, et me concentre sur ce qu'il dit par la suite.

- Comme je vous l'ai dit, ce n'est pas un problème... Un professeur de notre espèce passe un examen sensoriel, pour savoir combien d'étudiants il peut avoir à sa charge en une fois... Je ne devrais en avoir que 29, j'en ai 2 de trop, mais ça ne change pas grand chose...

Je grogne un "Pas grand chose, pas grand chose...." en rongeant mon cornet désormais vide. Je veux ménager mon effet mais mon sourire me trahit donc je me lance:
 
"Deux élèves c'est quand même beaucoup... Nan, c'est malheureux mais je ne vois qu'une solution pour éviter tout accident: je vais vous accompagner!"
 
Je souris et plisse les yeux, craignant secrètement qu'il refuse.

Je rougis un peu, honteux. Il essayait de le proposer à sa dernière remarque aussi, c'est ça ? Mince... J'ai l'air d'un parfait idiot maintenant. Je hoche un peu la tête, avec un sourire que je voudrais confiant mais qui n'est que le reflet de ma prise de conscience intérieure.

- Je suis pas contre...

"Alors c'est décidé!" Je me redresse, le visage complètement étiré.
 
"Vous savez quand vous voulez décoller, ou vous attendez une certaine heure? Et qu'est-ce que vous avez prévu comme parcours? A moins que l'école vous en ait imposé un mais ça serait vraiment le comble..."

- Bah... Pour tout vous avouer, j'attends juste qu'ils viennent se plaindre qu'ils s'ennuient... J'ai pas spécialement envie de passer 30 minutes à les mener d'un enclos à un autre et 10 minutes supplémentaires à essayer de leur expliquer ce qu'ils voient... C'est vraiment une catastrophe, ce genre de sortie.

"Je... Loin de moi l'idée de m'immiscer dans tes pratiques scolaire, mais tu peux peut être les mettre par groupes genre..." Je calcule rapidement et reprend " 5 groupes de 5 et 1 de 6. Comme ça tu peux donner à chaque groupe 3-4 enclos à voir et un résumer de 20 minutes à faire à l'oral en anglais sur leur mode de vie, leurs différences et similitudes etc..."
 
J'essaie de percevoir une réaction mais n'en voyant pas venir et ayant peur que mon argumentation n'ait pas été suffisamment pertinente, j'ajoute " En plus, ça te fera moins de copies à corriger et..." avant de me rendre compte de mon incorrection.
 
Tu le tutoies depuis cinq minutes, espèce d'ahuri! Vous avez pas élevé les cochons ensemble que je sache! Ahhh, mais que je suis bête parfois!
 
Choqué par mon propre comportement je deviens tout rouge et secoues les mains devant mon visage en affirmant:
"Ah! Je... je suis vraiment désolé! Je devrais vraiment pas être familier comme ça! Je voulais dire "vous"... Toutes mes excuses..."
 
C'est clair que je n'allais déjà pas lui dire avant que ce serait une occasion de ce balader tous les deux, mais là c'est vraiment mort...

Je le regarde un moment, un peu perdu. Il passa vraiment d'un sentiment à une autre ça devient un peu difficile à suivre. Je jette un coup d'oeil à l'intérieur où les élèves commencent à se lever pour arpenter la pièce et se diriger de groupes en groupes. C'est vrai qu'il serait temps de les faire bouger... Et puis même si ça ne me fera pas vraiment de copies en moins mais une évaluation en plus, finalement, ça aura au moins le mérite de les disperser un peu et de m'épargner le brouhaha qui les entoure. Je finis par sourire un peu et tourne de nouveau la tête vers lui.

- Oui, c'est une bonne idée.

J'ai volontairement ignoré ses excuses. Le fait qu'il me tutoie n'est clairement pas pour me déplaire, ça me donne l'impression qu'on s'entend bien, voir qu'on est relativement proche. Peut-être amis... Enfin, à la deuxième rencontre c'est complètement présomptueux !

- Vous... Resterez avec moi malgré tout ?

Je soupire de soulagement, et pour cause: déjà il ne m'en veut pas de mon impolitesse, mais en plus il est d'accord pour qu'on reste ensemble.
 
"Tout le plaisir serait pour moi!" Je ponctue cette phrase d'un large sourire qui pousse mes pommettes jusque sous mes yeux.
 
je réfléchis à une phrase grandiloquente comme il semble tant les aimer avant de continuer:
 
" Rassemblons les armées et divisons les troupes, il est grand temps de partir en campagne!"
 Puis je froisse la petite serviette en papier de ma glace et regarde vers l'horizon pour renforcer mon effet dramatique.

Je ris un peu en le regardant et me relève à mon tour. Je laisses ma tasse vide sur la table et entre de nouveau dans l'établissement. Une fois devant la cohue, je lâche un soupir.

- Excusez-moi...

Evidemment, je suis totalement ignoré. Je me redresse un peu.

- Silence !

Qui se fait immédiatement. Les regards se tournent vers moi sans grand intérêt, voir avec un peu de mépris par endroit.

- On va se remettre à la raison pour laquelle on est ici. Je veux un groupe de 6, le reste par 5 dans les 2 minutes.

Une fois qu'ils sont "organisés" je reprend et leur explique ce que l'on attend d'eux. Quelques minutes plus tard, ils se sont tous dispersés dans les allées.

- Bon... bah voilà.

Tout s'est passé très vite et en quelques secondes nous sommes seuls au milieu de la cafétéria. Je suis assez impressionné par l'autorité dont est capable Gallagher pourtant si timide -enfin, quand il ne m'insulte pas par inadvertance-  lorsque nous discutons tous les deux. Les élèves maintenant loin, j'entend à nouveau les chouettes hululer ce qui me fait un bien fou. Je ne peux m’empêcher de Lui demander:
 
"Vous les entendez chanter? J'adore les entendre chanter..."
 
Si il y avait bien un point positif à être un vampire, c'était ces sens extrêmement développés qui permettaient d'entendre ces doux roucoulements et d'apercevoir les silhouettes emplumées qui se fondaient presque avec le fond étoilé...

Je tourne un peu les yeux vers lui et le regarde quelques secondes, détaillant les traits de son visage, avant de sourire.

- Oui, j'entends.

Je souris et ressors de l'établissement, le tout ayant déjà été payé à notre commande. Je regarde autour de nous pour choisir par où aller mais... mais je suis incapable de prendre une décision pareille. Je me retourne donc de nouveau vers lui.

- Vous voulez aller où ? J'ai pas spécialement de préférence. Pas que ce soit nul ou quoi, juste que je sais pas trop où aller. Moi je préfère les canidés, mais si vous préférez les oiseaux moi ça me va aussi. Mais la volière on en fait vite le tour c'est un peu vide... Vous aimez les trucs vides ? Vous avez le droit, hein... c'est juste que bon... ça fait vide.